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Justin Sullivan - Interview - 3 Novembre 2009

Merci à Nathalie Milliet pour sa traduction.

1. C'est un plaisir de te revoir, Justin.

Salut !

AM : nous nous sommes rencontrés ici au " Kao " à Lyon il y a deux ans. Que s'est il passé depuis ?

Oh, depuis 2007, il s'est passé tellement de choses. Je ne me souviens pas de tout. Je vais devoir faire appel à ma mémoire, c'est un bon exercice. Mais je pense que le plus gros bouleversement dans nos vies s'est produit lors du décès de Tommy Tee, notre manager depuis de nombreuses années. Il occupait cette fonction depuis 1996 et il était notre tour manager depuis 81-82. Il est mort subitement à Noël. Ça a complètement chamboulé nos vies. Il y avait le monde avant Tommy, il y a maintenant le monde après Tommy. Nous avons écrit un album en octobre dernier et nous étions censés l'enregistrer au moment où il nous a quittés. Il va de soit que l'enregistrement a été retardé. Mais nous sommes allés de l'avant et nous avons enregistré en février. Depuis lors, nous sommes en quelque sorte nos propres managers. C'est une expérience intéressante mais quand il faut que je réponde constamment aux e-mails et que je gère des tas de choses, j'arrête de penser à la musique. A long terme, il faut que nous trouvions quelqu'un d'autre pour le remplacer mais c'est très difficile de dénicher la bonne personne en qui avoir confiance. Nous avons eu pas mal de contacts mais, encore une fois, c'est très difficile de faire confiance, tu sais. Nous étions tellement proches de Tommy, il faisait partie de la famille.

AM : lui et toi étiez de très bons amis, je pense.

Oui.



2. Tu sors un nouvel album intitulé " Today is a good day " (aujourd'hui est un grand jour).

Oui, c'est bien ça, Today is a good day.

AM : c'est le 11e album studio du groupe.

Oui.

AM : pourquoi avoir choisi ce titre ?

L'un des morceaux s'intitule " Today is a good day ". Comme je te l'ai dit, Il a été écrit en octobre ou en septembre dernier, peu importe. C'était après l'effondrement de Wall Street. Je pense que beaucoup de gens ont apprécié que Wall Street plonge, même si nous savions que cela allait entraîner la récession et tout ce qui va avec. Ça devait arriver de toute façon, c'était une bulle, ça devait exploser. Ce n'est pas trop le fait que ça aurait pu être évité c'est plutôt de regarder cette bulle exploser qui était jubilatoire. Malheureusement, les banquiers ont bien su rebondir depuis et c'est bien là le problème mais c'était formidable de voir les sourires disparaître de leurs visages. Nous avons donc écrit un morceau intitulé " Today is a good day " à propos de cette crise et nous avons pensé que ça serait vraiment un titre parfait pour l'album.



3. Dans la chanson " Autumn ", un texte splendide et très poétique, tu dis " everything is beautiful because everything is dying " (tout est beau car tout doit mourir). Peux-tu développer ?

Notre façon de travailler est toujours la même. J'écris en permanence et je mets les textes de côté. Puis chaque membre du groupe suggère des idées de musiques. Quand nous arrêtons de tourner nous passons à la phase " ok nous allons écrire un album ". Nous ressortons toutes ces idées, toutes ces choses à propos desquelles je voulais écrire et j'ai trouvé cette idée " tout est beau car tout doit mourir ". C'est tellement vrai et pas seulement parce que j'adore l'automne et que ces mots ont été écrits en octobre dernier, juste au moment de la crise de Wall Street, à l'aube de la récession. C'est aussi l'époque où les arbres prennent une couleur dorée, où l'on se rend compte que l'on vieillit, etc. En fait cette phrase se réfère plutôt à la valeur des choses. Ces choses qui sont belles car elles meurent. Rien n'est permanent, c'est ce qui donne de la valeur aux choses. On parle beaucoup des vampires dans la littérature moderne. Cette idée est très populaire car elle est intéressante. Le concept de vie éternelle est présent dans toutes les histoires de vampires. Au final c'est une idée terrible car si l'on vit éternellement, rien n'a plus de valeur. C'est comme si tu étais riche et que tu puisses tout acheter. Dans ce cas également, rien n'a plus de valeur, excepté ce que tu ne peux pas t'offrir comme l'amour. Mais les choses que tu peux te payer n'ont aucune valeur. De la même façon, si tu es en vie, tu sais que c'est parce que des choses meurent. C'est très intellectuel en fait.



4. Si tu devais écrire un morceau ce soir, quel sujet ou thème choisirais-tu ?

(Justin réfléchit). Ça serait un sujet personnel, je ne vais donc pas pouvoir t'en parler.

AM : tu ne veux pas répondre ? C'est peut-être une question trop délicate.

C'est une question délicate car parfois, ça ne vient pas comme ça. Je n'écris pas tout le temps. J'écris juste quand j'en ai vraiment besoin.

AM : c'est la raison pour laquelle je te pose cette question, car il n'est pas vraiment possible d'écrire sur commande, comme ça.

Oui, pas vraiment. Parce que j'écris beaucoup et qu'il y a plein d'idées dans nos chansons, les gens pensent que les mots me viennent très rapidement, que j'écris des tonnes de textes. En fait, c'est faux. Je trouve que l'écriture est un travail vraiment difficile et j'apprécie quand c'est terminé.

AM : je pense qu'écrire des textes est un travail compliqué.

Écrire toute sorte de trucs, c'est facile mais c'est le fait d'écrire des chansons qui est compliqué. Il faut, tu sais (il fait mine de compacter des choses dans ses mains).



5. Je crois que Joolz Denby a conçu les illustrations.

Oui c'est elle, comme toujours.

AM : sur cet album, on peut voir celle-ci (l'illustration est montrée à la caméra)



AM : Elle semble posséder de multiples talents, n'est ce pas ?

Oui, en effet.

AM : elle est poète

Oui, poète, romancière, artiste.

AM : peintre.

Et tatoueuse.

AM : elle est également actrice et photographe. Peux-tu nous parler d'elle ?

J'ai rencontré Joolz Denby en 1979 dans une boîte de nuit miteuse et nous avons commencé à parler de nos idées, de l'art, de la musique, de Dieu, du temps qu'il fait, de sexe et de plein de trucs. Nous en parlons encore 30 ans après. 32 ans pour être exact.



6. Qu'est ce que tu apprécies le plus quand tu es en tournée ?

J'adore être en tournée. C'est un mode de vie que j'apprécie. J'aime être dans une ville différente chaque jour, c'est cool. J'aime ce concept de famille que nous partageons avec tous les membres du groupe et de l'équipe. Nous sommes réellement une famille et j'aime ce genre de finalité. Tout coule de source, la journée se déroule simplement en ayant pour seul objectif ces deux heures de show et tout est axé là-dessus. C'est un style de vie très simple.



7. Qu'est-ce-que tu apprécies dans le fait d'écrire des textes ?

Plein de choses en fait. Tout ce qui fait l'amorce de l'écriture. Les textes les plus simples à écrire sont ceux qui sont inspirés par des gens qui me racontent une histoire et là, c'est parti (il fait semblant d'écrire).

AM : tu prends des notes.

Je reviens en arrière et j'écris une histoire. Je l'ai fait assez souvent car j'aime écrire des textes qui racontent une histoire. J'essaie de ne pas trop écrire sur moi-même. Je pense que c'est assez ennuyeux. Je pense également que si tu regardes les textes de plus près, il est souvent question du temps qu'il fait. Et ce n'est pas juste parce que je suis Anglais et obsédé par la météo. Tu sais, j'aime les textes qui ressemblent à des films, à de petites histoires. Tu fermes les yeux, tu écoutes la chanson et tu es dedans. Dans la vie, en général, le jeu de l'eau et de la lumière est certainement l'une des choses qui me donnent le plus de plaisir au monde. Les nuages, le soleil sur la mer, le coucher du soleil, ce rapport entre la lumière et l'eau, je ne me lasserai jamais de ce spectacle.

AM : je pense qu'il est très important pour l'homme d'être proche de la terre, de la nature, nous venons de la mer. Il est important de ne pas perdre de vue cette notion.

Oui et je pense que les religions comme le Christianisme ou l'Islam se cachent derrière ce genre de concept mais en fait, au final, tout finira par disparaître, nous sommes tous des païens, chacun d'entre nous.





8. Qu'est-ce que tu apprécies dans le fait d'enregistrer un nouvel album ?

En fait je n'aime pas tellement faire des albums. Je trouve ça très difficile car j'ai une symphonie dans la tête qu'il faut mettre sur bande. L'imagination est un sens imparfait. Rien n'est jamais identique à ce que tu entends dans ta tête. Les deux derniers disques ont été assez intéressants, surtout celui-ci en fait. Je ne me suis pas attaché à essayer de reproduire cette symphonie que j'avais en tête. J'ai juste écrit les grandes lignes des morceaux. Nous avons un très bon groupe en ce moment, le meilleur line-up qui soit, je pense. Nous avons trouvé un très bon équilibre et il règne un climat de forte confiance mutuelle. Nous prenons donc les grandes lignes des textes et nous regardons ensemble ce que nous pouvons en faire, comment les arranger. Nous avons joué en live l'intégralité du dernier album. Il n'y a pas eu de déclic, on n'a pas construit les morceaux les uns après les autres, sauf le dernier qui a été écrit pour Tommy et que l'on a dû construire. Tout le reste, c'est un groupe qui joue en live et je n'ai donc pas eu vraiment de contrôle. Je n'ai d'ailleurs pas cherché à le prendre. Nous avons tout simplement laissé venir les choses. Écoutons le groupe jouer, c'est à cela que nous nous sommes attachés. Je pense que c'est l'album sur lequel nous avons réalisé la meilleure performance. Vous pouvez entendre les musiciens jouer, c'est vraiment à l'opposé d'un concept. J'aime aussi la musique qui est construite mais parfois tu te situes entre les deux. Ça sonne un peu comme un groupe mais aussi un peu comme un concept et c'est un peu bancal. Parfois c'est trop entre les deux mais là, c'est vraiment l'album d'un groupe qui joue. Sur mes albums solos la question ne se pose pas. C'est un concept, ce n'est pas un groupe qui joue. Là, c'est un groupe, un vrai.

AM : et c'est ce qui fait la magie de la musique.

Oui.

AM : je pense que même sur scène cette magie opère.

Effectivement, c'est fait pour ça. La musique est totalement magique, elle transforme les choses. C'est à ça que sert la magie, à transformer les choses.



9. Quel style de musique écoutes-tu ?

Justin fait le geste " large "

AM : une grande variété de styles ?

Oui c'est le mot. On en parlait l'autre jour. Tu sais, notre album est plutôt rock mais je n'aime pas tant que ça le rock finalement. Nelson non plus d'ailleurs mais Dean, Michael et Marshal adorent. Nous aimons tous des styles de musique différents dans le groupe. Il est important de comprendre les différences qui existent au niveau de la culture musicale de chacun. Mes premières amours en termes de musique étaient les chansons américaines des années 60 et je les aime toujours. Mais si je regarde les morceaux que j'écoute le plus dans mon iPod, je m'aperçois qu'étrangement, c'est Gillian Welsh qui arrive en tête. Étonnant. Mais je crois que cela vient du fait que quand je suis en tournée, nous jouons du rock fort, lourd et puissant. En fait je ne veux pas écouter ça au cours de la journée. Je préfère écouter des morceaux sombres, cool, lents, étranges et underground. Je pense que de nombreux morceaux de Gillian Welsh sont comme ça. Il y a aussi une autre chanteuse américaine que j'aime beaucoup pour la même raison, c'est Alela Diane. Et j'écoute aussi beaucoup de musique pour orchestre, je dirais de la musique classique mais en fait non. Mozart et Beethoven ne me touchent pas vraiment mais la musique classique moderne, la musique moderne pour orchestre et ce genre de choses, oui. J'écoute beaucoup ce style de musique.



10. Et que penses-tu des nouveaux groupes ?

Il y a toujours de nouveaux groupes intéressants. Je citerai un groupe qui vient de la même ville que moi. Ils s'appellent New York Alcoholic Anxiety Attack.

AM : c'est exact. Ils viennent de Bradford.

Oui.

Mais je commence à me rendre compte que, dans le monde de la musique basée sur la guitare ou dans la musique populaire, même dans la musique électronique, c'est un éternel recommencement. Et je pense que ça devient un peu ennuyeux. Mais dans la mesure où la musique est magique, peu importe le style de musique en fait. Tu vas entendre un morceau, quel qu'en soit le style, qui te fera dresser le poil. C'est étrange tu sais, c'est fabuleux. Il y a énormément de choses différentes et de trucs modernes qui sonnent à merveille.



11. Quelle est la différence entre la photo N°1 et la photo N°2 ?

Il y en a peu. C'est moi sur les 2.

AM : époque différente, homme différent ?

Coupe de cheveux différente, c'est tout. C'est la seule différence. Même collier, mêmes boucles d'oreilles, mêmes yeux, même bouche, même nez, coupe de cheveux différente.

AM : humeur différente, non ?

Je ne me souviens pas et personne ne regarde les photos. Les gens m'envoient des photos, je les regarde et parfois, j'en vois une de moi. Je dis ok prenons celle-là, je ne suis pas regardant. Tu sais, nous avons fait des vidéos et aussi des concepts mais je ne les ai jamais vues. Je ne veux pas les regarder et je ne veux pas savoir.

AM : de nombreux musiciens me disent la même chose.

Oui.

AM : de nombreux musiciens me disent également qu'ils n'écoutent pas ou plus leurs albums.

J'écoute nos albums de façon occasionnelle, très occasionnelle et franchement, je ne regarde jamais les photos de moi. En revanche, j'écouterai les concerts que nous avons donnés pour vraiment me rendre compte de l'émotion musicale. J'essaierai de voir ce que nous devons faire en plus, ce que nous devons faire plus vite, plus lentement, et tout ce genre de choses. C'est clair que nous le feront mais je ne regarderai jamais les films car je ne veux pas savoir de quoi nous avons l'air. Ça n'a aucune importance à mes yeux. Quand je suis sur scène, je ne veux pas me dire " oh, de quoi j'ai l'air ". Je ne veux pas savoir, c'est mieux ainsi...

AM : c'est terminé Justin, merci de nous avoir consacré un peu de ton temps.

Ok. Ce fut un plaisir.