Interview Bill DERAIME
Samedi 5 octobre 2013 - Salaise Blues Festival
Ce surnom m'a été donné à 17-18 ans. Je jouais de la guitare et chantais
des chansons de
Big Bill Broonzy.
Quand je suis arrivé à Paris, à Montmartre,
on m'appelait Bill. Donc ce n'est pas un pseudonyme mais un surnom que j'ai eu,
notamment grâce à Big Bill Broonzy.
Non.
AM : Pourquoi as-tu choisi ce genre musical ?
Ce n'est pas moi qui l'ai choisi mais plutôt lui.
Comme je te disais je suis tombé amoureux de
Ray Charles
et de tous les Bluesmen que j'ai écoutés,
et la musique Noire en général. Plus tard j'ai beaucoup aimé
Bob Marley
ainsi que le Rhythm and Blues. J'ai fait une adaptation de
Sitting on the Dock of the Bay d'
Otis Redding.
Pour moi c'est essentiel parce que quand j'étais jeune,
j'habitais Senlis, une ville, sombre et moyenâgeuse.
Je suis né après la guerre, dans un endroit insalubre. Il y avait quelque
chose de très dur et triste. Quand j'ai écouté du Blues j'ai ressenti
quelque chose de très profond. Depuis ce temps-là et à travers tout cela
j'ai aussi découvert la religion, car j'ai écouté du
gospel.
J'étais élève dans une école où il y avait un prof d'anglais, qui nous faisait
écouter du gospel. Il était prêtre. J'étais externe au collège des
Maristes à Senlis. Avec ce prêtre on a monté un gospel choir, un choeur
de gospel avec une vingtaine d'élèves. Je jouais de la guitare et
j'étais le maître du bateau. Ensuite j'ai fait plein d'autres choses,
mais tout cela a guidé ma vie. C'est le Blues qui m'a choisi et à
travers lui une certaine spiritualité. Je suis très attiré par la
spiritualité des Noirs, tout ce qui est lié à l'origine, quand ils
étaient esclaves dans les champs de coton et se réunissaient pour
chanter ensemble, pour une lutte politique.
AM : Bien entendu.
Petit à petit cela a donné des églises contestataires du système jusqu'à
Martin Luther King
et dernièrement
Obama.
La musique a beaucoup d'importance. Ce qui les réunissait était la musique.
A travers elle ils ont mené une lutte sociale, avec les marches de
Martin Luther King, les gospels, We Shall Overcome. Je trouve qu'aujourd'hui,
dans la chanson française, on a perdu le feeling qu'avaient
Edith Piaf et
Jacques Brel.
Aujourd'hui on fait des belles chansons, mais c'est de la
chansonnette, des jolies rédactions. Dans toutes ces chansons il manque la vie.
Pour moi la musique c'est la vie, le Blues. La première phrase que j'ai
lue était Blues is life. On chante ce que l'on vit, on vit ce que l'on chante,
et cela manque dans la chanson française. Le dernier en date était
Claude Nougaro.
Bien sûr il y a encore
Higelin,
Lavilliers,
mais dans la nouvelle chanson française je ne vois pas émerger
quelque chose de fort, dans cet esprit-là. Quand je vois tous
ceux qui marchent bien, il y en a quelque-uns que j'aime bien,
mais il n'y a plus dans la chanson française ce qu'il y avait
autrefois, ce feeling qui venait de la rue. Edith Piaf,
Jacques Brel ont chanté dans la rue, dans le métro.
J'ai rencontré une accordéoniste qui le connaissait très bien.
Jacques Brel allait dans un cinéma,
Le Trianon, où il écrivait
ses chansons car il y avait des séances permanentes. Il restait
là tout l'après-midi car il habitait dans un endroit froid et
écrivait ses chansons dans ce cinéma où il n'y avait que des
films de cow-boys. C'est pour cela que quand il a arrêté la
chanson il a fait le film Le Far West. Pour moi Jacques Brel
et les autres sont des références. Quand j'étais petit ma mère
et mon père écoutaient Edith Piaf et de l'accordéon.
J'ai chanté beaucoup en anglais jusqu'à 33-34 ans.
A 26 ans on m'a demandé d'être éducateur avec Florentine, ma femme,
dans une maison à la campagne pour accueillir des gens qui sortaient
de la dope, de la défonce. Je me suis rendu compte que quand
je chantais en anglais...
AM : Oui, je suppose que les personnes accueillies ne parlaient
pas spécialement anglais.
Oui, cela a peut-être été le déclencheur et j'ai pensé que
c'était mieux aussi de parler notre langue.
AM : Bien sûr.
Tout en sachant que ce n'était pas facile. Quand je réécoute ce
que je chantais au début c'était loin d'être parfait parce que je
n'avais pas encore le feeling non plus ! C'est avec la vie qu'on
acquiert une voix, que l'on a des choses à dire.
AM : Oui on a l'expérience.
C'est pour cela que l'on dit les Bluesmen c'est comme le bon vin il
faut qu'ils soient vieux pour bien faire.
J'ai chanté au Canada, en Suisse. C'est vrai que le Blues
francophone est difficile à exporter. Au Canada, ils parlent
français donc il n'y a pas de problème. J'ai bien sûr chanté en
Belgique. C'est difficile à exporter car on est quand même très
attaché à la langue par rapport à la musique.
Oui, c'était un disque de Festival à Lambesc. Il y avait beaucoup de
participants. C'était un festival extraordinaire avec une dizaine de
milliers de personnes. Tout le monde rentrait en donnant ce qu'il
pouvait ou en échangeant des choses comme une ceinture en cuir par exemple.
Tous les musiciens étaient venus gratuitement.
AM : D'accord.
Joan Baez
devait venir ainsi que d'autres artistes qui ne sont pas venus,
mais il y avait beaucoup de monde. C'était vraiment un moment de fraternité
que l'on ne voit plus lors des festivals aujourd'hui. Ce n'est plus pareil.
Tout le monde lève les bras en même temps, avec la lumière, on saute tous
en même temps. A l'époque on écoutait la musique assis et puis ça vibrait
quand même. On se levait avec le rock bien sûr mais ce n'était pas,
tous pareils, tous en même temps. Aujourd'hui on suit comme
des moutons. Je trouve qu'à l'époque on écoutait la musique
différemment. Il y avait moins de tubes.
Par exemple, quand on a fait ce festival où il y avait 10 000 personnes,
il n'y avait personne de connu, enfin à part
Roger Mason, un compagnon de
Donovan,
Deroll Adams et
Alex_Campbell,
Alexis Korner,
des gens de la Beat Generation.
Ils étaient connus dans le milieu Folk, marginal, hippie.
Il n'y avait pas de tubes et pourtant il y avait du monde à ce festival.
On va le montrer. Après Demain, le voici. Il est très bien !
AM : Oui et ce que l'on peut également beaucoup apprécier
c'est qu'il y a les paroles de tes chansons.
Oui.
AM : C'est important dans une pochette de disque de glisser
un livret avec les paroles des chansons. Bien entendu également
des photos, le nom des personnes qui ont participé à cet album,
car un disque ce n'est pas une seule personne, mais une équipe.
Dans ce cas, c'est vraiment un groupe. Il y a aussi un personnage fabuleux
qui a joué avec Bob Marley. Il a fait des arrangements pour Sting,
en France pour Gainsbourg, c'est un organiste qui s'appelait avant Soran
et qui s'appelle maintenant Jean Roussel, il est Mauricien.
Il a joué avec beaucoup de monde. Il a commencé à jouer à 16 ans.
Il a beaucoup travaillé avec
Cat Stevens
qui s'appelle aujourd'hui
Yusuf Islam.
Il continue d'ailleurs à jouer avec lui. Il a un studio
dans la banlieue parisienne où on a commencé à travailler ensemble,
avec le groupe. Il nous a fait travailler pour que ce disque,
comme on dit, monte d'un étage !
C'est difficile, en tout cas pour moi. D'autant plus que je suis
Français, je chante en français, je suis blanc et je suis vieux !
Je pense qu'il faut s'accrocher. Je parle du Blues en français.
Ce n'est pas facile. J'aime bien aussi les groupes, comme celui
de ce soir, qui chantent en anglais, j'ai moi-même chanté en anglais
jusqu'à 33 ans. C'est une bonne école, mais il faut bien que cela
débouche sur quelque chose qui se raconte, qui se dise et que le
public comprenne. C'est une musique vivante. C'est difficile car
il y a une concurrence terrible avec ne serait-ce que les supermarchés,
car quand on entre dans une grande surface on écoute les radios et
les titres en vogue. Tout cela étouffe la musique vivante.
Il faut que le public suive aussi et s'ouvre à cette musique-là,
pas seulement en disant c'est de la vieille musique. C'est une
musique qui véhicule une fraternité, une âme, quelque chose de très
profond, qui vient d'un peuple, comme dirait
Tonton David,
qui a souffert, qui véhicule quelque chose de fort
et qui peut aider beaucoup de gens.
J'ai des amis qui écoutent du Blues. J'avais un ami atteint
d'un cancer. Sa femme me racontait qu'il écoutait tous les matins un
titre de Blues et cela jusqu'à sa mort. La musique l'a beaucoup aidé.
Je crois qu'il faut se donner la peine d'écouter du Blues. Il y a des
jeunes qui s'intéressent au Blues. Dans ce disque il y a un quatuor
de jeunes choristes. Les cousines du preneur de son qui sont noires.
Quand elles sont venues au studio, à la plus âgée qui avait 14 ans,
je lui ai demandé ce qu'elle aimait comme musique, elle m'a répondu
Etta James.
Elle m'a même mimée Etta James en train de chanter,
c'était son idole. Le Rap par exemple vient du Blues.
Je me souviens avoir entendu le leader d'
IAM,
Akhenaton,
parler du Blues d'une façon positive. Il disait que le Blues
était nos racines à nous tous. Le Rap a une rythmique à l'origine
du Blues et du Rhythm'n'Blues, c'est bien de sa part de le dire.
Il y a mon fidèle compagnon, guitariste, avec qui je joue depuis
35 ans qui s'appelle
Mauro Serri.
Il vient de Sardaigne. Le batteur qui est le deuxième
plus vieux du groupe, puisque cela fait 12 ans que je joue
avec lui, s'appelle Stéphane Pijeat.
Le clavier, Didier Le Roux et le bassiste Denis Ollive, qui vient
de Marseille comme son nom l'indique !
AM : Merci Bill pour ton temps et très bon concert pour
ce soir au Festival de Salaise.
Merci beaucoup.