Interview - Hugh CORNWELL
Vendredi 29 Mars 2013
Scandiano - Italie
Oui. Lors de notre dernière entrevue nous étions en train de
travailler et répéter les morceaux, c'était avant notre entrée
en studio. Il est donc fin prêt maintenant !
AM : Sur la pochette, en noir et blanc, il y a comment peut-on
appeler cela, un emblème ?
Oui. J'aime bien cette figure symbolique, c'est pas mal.
J'ai emprunté une partie de ce célèbre logo à la Warner Bros,
qui n'a probablement pas de droits exclusifs, pour mettre
mon propre dessin à l'intérieur. Les symboles sont très
importants et celui-ci est joli.
Oui.
AM : Regardons les photos. Pourquoi as-tu choisi de
rétrécir tes musiciens, et toi-même également ?
Je ne sais pas trop, comme c'est un petit CD et que nous
sommes tous grands, Steve, Chris et moi-même, au moins 1,80 m,
si on avait choisi de mettre notre photo en pied à l'intérieur
de la pochette, on paraîtrait tout petit, et je me suis dit :
Quelles sont les choses les plus représentatives d'une
personne ? Son visage, ce qu'il fait, et ses pieds,
les autres parties du corps ne sont pas importantes ou le
sont moins. Alors nous avons décidé de faire ces photos,
en mettant l'accent sur les principales caractéristiques
de chacun, notre visage, notre instrument de musique,
et nos pieds. Chris ressemble à un troll qui vit quelque
part à la campagne sous un pont, il bondit et aboie
lorsque des enfants passent. Steve ressemble à un insecte.
Et moi je ne sais pas, j'ai juste l'air d'un idiot!
On se moque de nous-mêmes, tu sais et Chris a adoré ça,
Steve n'était pas très content au début mais maintenant il aime aussi.
AM : C'est parfait !
Pour moi ? Eh bien heureusement rien. J'essaie, je pense
que l'on doit faire l'effort d'ouvrir son esprit sur tout,
et pouvoir parler de tout. Je vais te dire ce que je
n'aime pas. Je n'aime pas manger ce que l'on appelle en
Angleterre la tripe, T-R-I-P-E, qui est la paroi de
l'estomac du mouton, ceci est tabou pour moi, je ne veux
pas en manger, je ne veux pas non plus manger des testicules
de taureau. Quand j'étais en Espagne ils m'ont proposé d'en
manger, ils étaient cuisinés! Non désolé, je ne veux pas en
manger. Il y a certains aliments que je n'aime pas, ils sont
tabous, mais j'aime parler de tous les sujets, je peux parler
de mes tabous, des tiens. Tout le monde a des tabous.
Certaines personnes ont du mal à en parler et si elles ne
le font pas, cela devient pire. Je pense que cet album est
une sorte de savonnette!
So, Totem & Taboo.
Totem & Taboo parle de ma situation personnelle. J'ai été très
discret pendant des années, après mon départ des Stranglers,
et maintenant je suis de nouveau plus actif. C'est aussi un
constat, par exemple quand je sors dans la rue et que je vois
des gens en colère, je me demande pourquoi. Il ne semble pas
qu'il y ait beaucoup de communication de nos jours entre les gens.
Nous sommes dans un monde où tout le monde est connecté,
mais personne ne communique, c'est ironique, cela n'a aucun sens.
Dans cette chanson j'ai voulu souligner le fait que si j'aime
quelque chose, vous n'êtes pas obligés de l'aimer aussi, mais
vous devez respecter ce que j'aime et je respecterai ce que
vous aimez. Elle parle donc de la tolérance et de l'intolérance.
The Face est une anecdote vécue. J'étais présent, il y a pas mal
d'années de cela, à une soirée londonienne où il y avait Madonna.
Je voulais aller aux toilettes et je me suis retrouvé dans une
file d'attente avec d'autres personnes. L'attente était longue,
alors j'ai demandé à la personne qui était à côté de moi pourquoi
on attendait si longtemps. Cet homme me répondit :
"Elle accorde 10 minutes à tout le monde". Je réalisais que
je n'étais pas en train de faire la queue pour aller aux toilettes
mais que j'étais dans la file d'attente pour rencontrer Madonna!
Heureusement que personne ne m'a vu ! (rires). Je n'ai rien
contre Madonna, mais j'ai pensé que cette histoire était marrante.
Madonna est une icône pour les gens, mais pas pour moi, mais à
chacun ses trucs. C'est également intéressant parce que je ne suis
pas aussi riche qu'elle et je ne vends pas autant de disques,
mais nous sommes dans une situation similaire, les gens aiment
aussi ce que je fais, ils suivent mon travail, mais je ne sais
pas si je pourrais faire la même chose qu'elle, être dans une
pièce et attendre que les gens frappent à la porte et entrent
pour me voir. Etre traité comme un roi auquel on apporte des cadeaux,
et des personnes qui s'assoient à vos pieds. Non je ne pourrais pas
faire ça, cela me paraît un peu absurde, mais à chacun ses plaisirs.
Je ne peux pas dire de quoi elle parle, c'est une chanson qui dérange.
Des gens veulent posséder des choses, leurs vies tournent autour
de la possession, et je ne trouve pas que c'est très sain de posséder
quelque chose. Des personnes veulent posséder d'autres personnes,
tu es à moi, c'est des conneries tout ça, je pense que ce n'est pas bon.
AM : Stuck in Daily Mail Land.
Il existe au Royaume Uni un quotidien qui s'appelle le Daily Mail.
Beaucoup de personnes prennent pour argent comptant ce qu'ils
lisent dans ce journal, c'est leur totem. C'est pour eux comme
une religion. Alors j'ai pensé que si vous étiez un lecteur du
Daily Mail et que quelqu'un vous disait : "Je n'aime pas le
journal que vous lisez", que diriez-vous en faveur de ce journal ?
AM : Bad Vibrations.
Je ne sais pas vraiment pourquoi cette chanson figure sur cet album.
C'est juste un totem et un tabou. Elle parle d'une femme qui était
pour moi un tabou, elle était un peu folle, je savais qu'elle
n'était vraiment pas commode.
AM : Et elle était bien sûr négative pour toi.
Il y a aussi une chanson des Beach Boys qui s'appelle Good Vibrations.
AM : Oui.
Et j'aime bien changer, intervertir les situations.
Je pourrais en parler pendant des heures. Je pense que c'est
un peu dingue que la Bible ait décidé, que les personnes qui
ont écrit la Bible ont décidé, qu'au niveau de la religion,
ils ont décidé que la femme a été créée à partir de la côte
d'un homme. D'où est-ce que cela vient ? Et que c'est elle qui
serait mauvaise, celle qui aurait commis une erreur dans le
Jardin d'Eden, c'est n'importe quoi, ce ne sont que des bêtises.
J'ai découvert qu'auparavant, il n'y avait pas de lien entre
l'acte sexuel et la naissance. Ils n'avaient pas réalisé que
tout était connecté, soudain une femme accouchait d'un être humain,
donc ils ont pensé qu'elle était Dieu. C'est assez intéressant.
Ce sont les tabous de la religion. La religion me fascine,
j'ai pensé que Dieu n'était peut-être pas un homme.
Quelle idée stupide de penser que Dieu a créé l'homme à son image,
la plupart des religions se basent là-dessus, c'est idiot.
Si on réfléchit un peu, comment peut-on accepter cela ? Désolé,
mais cela n'a aucun sens.
AM : Oui, c'est sûr.
Je ne suis pas religieux. Je n'appartiens à aucune religion,
mais je crois qu'il y a une espèce de force, une énergie,
qui pilote tout. Je ne sais pas si nous le comprenons bien,
mais je ne veux pas inventer n'importe quoi, peu importe ce que
c'est, ce qu'on nous présente est si primitif, cela ne met pas
vraiment en valeur l'intelligence humaine. Je pense que nous méritons mieux.
AM : Je suis d'accord. Et la Bible a été écrite par des hommes.
Bien sûr.
AM : Si la Bible avait été écrite par des femmes,
les textes seraient différents !
Oui quelque peu différents.
Love Me Slender est une analyse de la beauté, ce qui est
beau et ce qui ne l'est pas. Chacun à sa propre représentation
de la beauté. Aux siècles derniers si vous étiez gros,
vous étiez beau, parce que vous étiez riche. On peut constater
que le monde a changé mais les gens, eux, n'ont pas changé de
Rubens aux hommes des cavernes. C'est ma constatation.
C'est un constat. Le droit à la liberté d'opinion et d'expression
est un grand totem aux Etats-Unis et c'est bien. Mais c'est
difficile de glisser ce mot dans une chanson, alors j'ai décidé
de choisir le mot gays, parce que les premiers défilés de la
communauté homosexuelle ont été organisés aux Etats-Unis,
et cette détermination à défendre cette liberté d'expression
est une bonne chose. D'un autre côté les Américains sont
obnubilés par la violence et les armes à feu, la religion.
L'Amérique me fascine car c'est un pays très paradoxal.
C'est également une référence aux Etats-Unis. J'ai eu la
chance de séjourner quelques semaines en Californie,
à Los Angeles, j'ai donc écrit ces deux chansons là-bas.
Ce sont les fruits de mon séjour en Amérique, et mes
remarques sur l'Amérique, les totems et les tabous des Américains.
Cette chanson est très personnelle, elle parle de l'obsession
de la mort, le temps qui passe, une réflexion sur comment
nous passons le temps qui nous reste à vivre, le passons-nous
de la meilleure façon possible pour nous ?
Mon premier roman paru durant l'été 2011 s'appelle
Window on the World, édité par
Quartet books.
Nous essayons en ce moment d'en faire un film, et mon deuxième
roman s'appelle Arnold Drive, qui devrait paraître au Royaume Uni
cet été, sur internet.
AM : De quoi parle ce nouveau roman ?
Ce deuxième roman parle de la religion. C'est une autre bonne
raison pour moi de parler de la religion et de pouvoir exprimer
mes idées sur ce sujet. C'est l'histoire d'un prêtre dont l'église
a été fermée car personne n'allait plus à l'église. Il a donc perdu
son travail et doit quitter la maison dans laquelle il a vécu
pendant 30 ans. Il va découvrir le monde, une nouvelle vie.
C'est un peu comme dans le film "Being There" avec Peter Sellers,
ce film relate l'histoire d'un homme qui vit coupé du monde,
et qui doit affronter une nouvelle vie. Mais l'histoire n'a pas
le même dénouement car mon prêtre n'est pas impliqué politiquement.
OK.
AM: Sur son site Louder Than War, dans laquelle John Burnel des
Stranglers
dit : " J'aimerais faire avancer le projet "Meninblack ballet".
A l'origine il y avait un ballet prévu pour The Meninblack.
L'album en était l'histoire. Il se pourrait que j'écrive d'autres
morceaux et que j'en parle à Hugh.
John Burnel t'a contacté à ce sujet ?
(Souriant). Je ne vois pas à quoi rime ce projet. C'est s'attarder
sur le passé. C'est un projet qui date de 35 ans. Je suis même
surpris qu'il y pense. Le temps a passé, la vie continue,
et je n'ai pas l'intention de transformer The Meninblack en ballet
ou en n'importe quoi d'autre. C'est un super album, un des
chefs-d'oeuvre des Stranglers, et je pense qu'il doit rester ainsi.
Si il pense à ces choses-là c'est peut être qu'il a trop de temps
libre, il devrait s'investir dans d'autres choses,
c'est un homme intelligent tu sais.
C'est difficile de nos jours. Je ne les envie pas. J'ai eu de
la chance comme beaucoup de mes confères. Nous avons une
histoire et notre travail a été reconnu et a passé l'épreuve
du temps. Des personnes s'intéressent encore à nous et à ce
que l'on fait. C'est plus facile pour des musiciens qui ont un
historique que pour quelqu'un qui débarque de nulle part.
Pourquoi les gens s'intéresseraient-il à ce qu'ils font ?
Il y a aussi eu ces explosions musicales apparues après notre
époque, comme la dance music qui n'a rien apporté à l'écriture
des chansons, il n'y a malheureusement pas vraiment de textes
dans la dance music, bien que la technique soit bonne, et il y
a eu aussi l'explosion des chanteurs interprètes qui ont acquis
une bonne technique mais qui n'écrivent pas, qui se contentent de
faire des reprises. Donc ces jeunes qui arrivent sur le marché
de la musique, doivent survivre à ce ou ces phénomènes. Ce doit
être très difficile. Quel conseil puis-je leur donner ? Si j'étais
eux, je ne saurais pas par où commencer, je n'ai aucun pouvoir sur
quoi que ce soit, je ne peux que leur souhaiter bonne chance,
(souriant) et qu'ils suivent leur instinct.
Je ne pense pas avoir appris quelque chose.
AM : Si, tu as appris à...
Oui, j'ai appris à jouer de la guitare, à écrire des chansons,
sur scène à parler à la foule, à travailler en studio. J'ai
beaucoup voyagé, je ne sais pas si j'ai appris plus de choses
qu'en étant facteur ou chauffeur-livreur par exemple.
AM : Tu as quand même appris à faire plein de choses différentes !
La connaissance et l'apprentissage sont très importants.
AM : Apprendre et rencontrer d'autres personnes.
C'est effectivement la meilleure façon d'apprendre quelque chose!
AM : Oui.
Ecoutez ce que les autres vous disent, et parmi toutes les infos qu'ils
vous donnent, vous apprendrez certainement quelque chose de nouveau.
AM : Des cultures différentes, etc
Oui n'importe quoi en fait, la connaissance n'est pas spécifique à
un sujet en particulier et nous apprenons heureusement à tout âge.
AM : Je suis entièrement d'accord! Merci beaucoup Hugh de nous avoir
accordé cette interview.
Avec plaisir.
AM : Bon concert pour ce soir et les autres à venir et nos meilleurs
voeux de réussite pour le futur.
Merci.