Interview - Richard BONA
15 Mai 2013
Bonjour.
AM : Bienvenue à Lyon, au Transbordeur, où tu vas jouer ce soir.
Comment se passe ce début de tournée en France ?
Plutôt bien. L'album a été bien accueilli. On a déjà fait 3 concerts,
dont un en plus petit comité, à la radio chez RTL. On a participé à
Jazz Sous les Pommiers à Coutances, ensuite on a joué au Plan à Ris-Orangis.
Je n'avais pas joué en France depuis un moment avec mon groupe,
alors c'est chouette !
Non, mon premier instrument était un balafon que m'a offert mon grand-père
qui était musicien. Il l'avait fabriqué lui-même.
La basse est venue bien après.
AM : Le balafon, c'est une sorte de xylophone ?
Oui, c'est l'ancêtre du marimba.
Ma première influence musicale a été celle de mon grand-père et
celle de mon entourage familial, toutes les personnes qui ont
joué autour de moi. Ensuite, comme je vais habiter en ville avec
mes parents, je commence à écouter de la pop africaine, comme on dit,
de la musique populaire africaine, avec des artistes locaux.
Et puis en ville on reçoit des influences musicales à travers les
ondes radio, à l'époque pour nous c'était aussi des cassettes et des
vinyles, on recevait des albums, on écoutait des albums qui venaient
de France ou des Etats-Unis. J'ai commencé à écouter du Jazz à
l'âge de 14-15 ans.
Plutôt un bon souvenir. Je dis souvent que l'on apprend beaucoup
de la différence. Là où j'ai appris le plus c'était là où les gens
étaient différents de moi. C'est dans la différence que l'on apprend
beaucoup car justement tout est différent ! Mon passage en France a
été super. J'ai gardé plein de bons souvenirs et surtout plein d'amis,
et beaucoup de musique. C'est un apprentissage. Pour moi c'était
comme un passage obligé, et pareil pour mon séjour aux Etats-Unis.
Et tous les voyages que j'ai faits, car même si je n'ai pas habité
en Inde, j'y vais régulièrement, et le fait de tisser des liens avec
des musiciens indiens ou cubains ou russes, on finit par beaucoup apprendre
parce qu'ils jouent une musique différente de la mienne. Il faut toujours
s'ouvrir sur d'autres choses et laisser entrer en nous certaines choses.
Oui, Jaco.
AM :
Larry Coryell.
Oui.
AM : Nous avons son fils sur rock-interviews.
Julian ?
AM : Non,
Murali.
Ah, le plus jeune ! Oui, je connais bien
Julian, je connais moins Murali.
AM : Qu'est-ce qu'elles-t-on apporté toutes ces différentes collaborations ?
Tu as nommé les maestros. Si on prend par exemple la guitare,
que ce soit Larry Coryell ou
Mike Stern ou
Pat Metheny,
George Benson,
les gens que j'ai accompagnés, ceux avec qui j'ai joué, ils jouent tous
du même instrument mais ils sont tous tellement différents, chacun a
son style. Tu prends n'importe quel guitariste que ce soit
Biréli Lagrène
ici en France ou
Sylvain Luc,
tous ont un son bien particulier et une personnalité
que tu retrouves avec ce même instrument
qui est la guitare. J'ai beaucoup appris de toutes ces personnes,
mais l'apprentissage de la musique ne finit jamais.
AM : C'est vrai.
Plus on avance, moins on sait en fait !
AM : On apprend tous les jours.
Oui, on apprend tous les jours et tu es très humble par rapport à
la musique car c'est tellement vaste, c'est un peu trop vaste !
Oui.
AM : Tu as 7 albums à ton actif.
Wouahou 7, déjà.
AM : On les a tous.
Incroyable.
AM : Bernard, le caméraman, est un très grand fan.
(Richard riant) Il n'est pas très grand.
AM : A travers ces différents albums on a l'impression que tu
appartiens à la Musique avec un grand M, puisque tu n'as pas spécialement
d'étiquettes musicales. Que penses-tu de cet avantage ?
Je ne sais pas si c'est un avantage. Je l'ai toujours voulu ainsi.
Je n'aime pas jouer tout le temps la même musique, même la mienne.
AM : On s'ennuie.
Oui. C'est pour cela que vous me retrouvez à faire des sidebands, à jouer
avec beaucoup d'autres gens. J'étais au Brésil avec un orchestre symphonique,
avant cela j'étais avec
Lauryn Hill
pour son album. Et avant de jouer avec
l'orchestre symphonique je suis allé jouer sur l'album de
Stevie Wonder.
Maintenant je m'occupe de mon projet, et entre deux j'ai joué avec un
guitariste hongrois, gipsy, comment dit-on ? Gitan ?
AM : Oui.
Qui est
Ferenc Snétberger.
On a fait deux très beaux concerts. Je vais jouer également avec l'orchestre
symphonique d'Amsterdam à Hoofddorp après cette tournée.
J'aime bien cette...
AM : Diversité.
Voilà, et aussi pour mes oreilles. Et peut-être parce que je
joue également de plusieurs instruments. Les gens disent c'est
le bassiste, mais je ne peux pas jouer de la basse plus de deux heures.
Quand je joue de la basse au bout d'une heure et demie cela commence
à me faire chier, je le dis sincèrement, et du coup je peux aller jouer
par contre de la guitare et là je me sens comme renouvelé ! I am more
reveled you know. Et puis deux heures après je suis au piano et là je
retourne à la basse. Je peux passer une journée comme cela à jouer.
C'est comme ça que je conçois la musique. La musique avec un seul
instrument, non non ! Cela se reflète peut être aussi par le fait
que je change toujours de formation, de concept aussi.
Cet album je l'ai voulu très très acoustique par exemple.
AM : Bonafied ?
Yes.
Pourquoi ce titre ? La terminaison du mot est en "fied" et non en "fide"
qui est le vrai terme en anglais, qui veut dire authentique.
Je l'ai conjugué, j'ai fait un jeu de mots, comme j'ai un background
très français et qu'en français on manie bien la langue, j'ai voulu
faire un peu de littérature à ma façon en anglais.
On a choisi Bonafied pour dire comme authentifié, voilà.
AM : J'avais lu que cela voulait dire good faith en anglais.
Oui c'est cela aussi, mais you know quand on dit that's
some bona fide, c'est vraiment très original ou authentique.
AM : OK. A qui est-il dédié cet album ? On va le montrer parce qu'il est beau !
(Richard montrant sa photo) : Est-ce que c'est moi ? (riant) Non !
AM : Il y a de très jolies photos.
Merci. I feel good!
AM : Donc à qui est-il dédié cet album ?
Il est dédié à mon grand-père.
C'est également un album de révolte,
de ras le bol. L'idée est venue d'une interview à New York quand j'étais
sur un plateau radio avec plusieurs autres artistes. Je trouve que notre
façon de concevoir les choses aujourd'hui, que tout est en train de
changer sans que l'on s'en rende compte. Les DJ sont devenus des créateurs.
J'entends cela sur un plateau radio, alors je dis : Remettons quand même
les choses à leur place ! J'aime beaucoup les DJ, j'ai des amis DJ,
mon fils fait souvent le DJ, you know it's cool, mais il ne crée pas.
Le DJ n'existe que si un musicien existe.
AM : Tout à fait.
Cela ne devient plus de la création, mais est-ce que cela m'étonne ? Non.
J'ai donc composé une chanson qui est intitulée Tumba La Nyama, qui veut
dire la tribu des animaux. Ce sont les animaux qui se réunissent un jour
dans la forêt et décident d'évaluer l'être humain. Ils lui demandent,
mais pourquoi es-tu si triste ? Chaque fois que l'on te voit tu es triste.
L'être humain leur dit : Vous avez de la chance car vous connaissez tous
les secrets de la nature. L'oiseau vole, il est libre, il va où il veut,
le poisson nage dans tous les océans, l'éléphant est fort, le guépard
court très vite, l'aigle a une vision extraordinaire. Vous avez tous les
secrets de la nature que je n'ai pas, alors voilà pourquoi je suis triste.
Les animaux lui disent, on va t'apprendre tous ces secrets, il ne faut pas
que tu sois triste, cela ne sert à rien. L'être humain dit : Ah bon ? Oui,
appelle les animaux, grâce à eux tu vas connaître tous les secrets de
la nature. Tu vois comment l'être humain est devenu l'inventeur de l'aéronautique,
il a invité le sous-marin, l'inventeur, on aime bien ce mot, mais l'être humain
n'a jamais rien inventé. Tout ce qu'on a fait c'est de reproduire, tout ce que
la nature avait déjà plus ou moins, avant même notre existence. Cela revient à
dire sur mon album, d'un seul coup aujourd'hui les DJ sont créateurs, wait a minute,
créateur de quoi ? Bientôt aussi inventeurs de la musique ? Dans ma chanson
je dis heureusement qu'ils ne contrôlent pas encore l'air, on le paierait
comme l'essence ! C'est vrai, on rigole, mais quand j'étais gamin tu m'aurais
dit que j'achetèrais de l'eau un jour, j'aurais tout parié, j'aurais juré que
jamais je n'achèterai de l'eau, on ne fait pas d'argent avec l'eau c'est gratuit,
ça se donne. But guess what? J'achète de l'eau aujourd'hui, et cela est mon
point de référence. J'ai plein de chansons qui relatent notre manière d'être,
notre état d'esprit aujourd'hui dans le monde, tu vois.
Oui.
Des titres en anglais comme " Uprising of Kindness ", des titres
comme Diba la Bobe ou Dunia E qui sont chantés en quelle langue,
puisqu'il existe 200 langues locales au Cameroun ?
Que je ne parle pas ! Je ne parle pas toutes ces langues.
Non je parle le douala, un peu le bassa.
AM : C'est déjà beaucoup.
Oui, je parle en plus le français, l'anglais, un peu le japonais.
AM : C'est très bien.
AM : Il y a également sur ton album une chanson en français, La fille d'A Côté.
Oui c'est mon amie
Camille
qui a bien voulu me prêter main forte.
J'ai reçu aujourd'hui un e-mail, nous sommes numéro 1 pour les ventes iTunes.
AM : Bravo.
Quand même, s'il vous plaît, numéro 1. Mais pourvu que ça dure.
Cela va durer 2 secondes, (riant) oh zut on est déjà numéro 2 ! Je plaisante.
Camille a écrit les paroles de cette chanson que j'ai composée.
Elle a tout de suite embrassé la mélodie à sa façon.
C'est une artiste que j'aime beaucoup, je la connaissais avant
qu'elle fasse des albums. J'aime bien son vibe !
C'est moi qui l'ai enregistré. J'ai deux studios. Je passe beaucoup de
temps à jouer mais je passe aussi beaucoup de temps à étudier le matériel.
J'ai des préamplis des années 50. Je suis un collectionneur aussi de
vieux matériels. Je n'aime pas le digital, on dit le numérique.
Je n'aime pas trop tout ce matériel, je préfère très souvent enregistrer
chez moi. J'ai des préamplis que tu ne trouverais pas et des micros qui
sont rares aujourd'hui et je les entretiens bien.
AM : Oui, c'est important.
Pour l'enregistrement je suis aux aguets, attention, je suis avec le bâton !
Oui nous avons
Etienne Stadwijk,
qui joue du clavier et qui est
là depuis le premier album. A la guitare j'ai un de mes anciens élèves,
Adam Stoler.
J'ai enseigné à la NYU, New York University, et il a été
dans ma première classe pendant deux ans. C'est un grand maintenant il
tourne avec moi !
Obed Calvaire
qui est un excellent batteur, qui,
sur la place new-yorkaise joue pratiquement avec tout le monde.
Johan Renard est au violon, il fait partie d'un quatuor à cordes
français de jeunes musiciens très talentueux, c'est
Pierre Bertrand
qui me les a recommandés.
Mario Forte
au violon également, Frédéric Pallas
à l'alto et
Jean-Philippe Feyss
au violoncelle.
AM : Merci Richard pour ton temps. Merci d'être un bassiste
virtuose, qui a une voix magique (Richard chante) et toujours le sourire.
All the time!
AM : De la bonne humeur et de l'humour.
Il n'y a que ça de vrai finalement.
AM : Et " des musiques " à partager avec tous tes fans du monde entier.
Bon concert pour ce soir.
Merci et bon concert à vous aussi.
AM : Oui nous serons là pour t'applaudir.
(Richard mimant). Bye !