Gérard tout au long de ta carrière tu as eu plusieurs cordes à ton arc,
puisque tu es musicien, auteur-compositeur-interprète, dessinateur,
peintre et tu as eu également une expérience cinématographique.
On va parler, si tu le veux bien, dans un premier temps, de la musique et pour cela remontons un peu le temps. Quand as-tu commencé à t'intéresser à la musique et à ses instruments ?
En écoutant des 45 tours,
Henri Salvador avec Monsieur Boum Boum,
Zorro est Arrivé, des chansons que je trouvais très drôles.
Ensuite, j'ai découvert des chanteurs à la télé comme
Antoine,
Les Charlots, qui étaient très marrants aussi. Puis
Nino Ferrer,
Jacques Dutronc,
Eddy Mitchell, que je mets à part. Après,
il y a eu
Jacques Higelin,
Bashung,
Boby Lapointe,
Jacques Brel.
D'ailleurs j'aimais pratiquement tous les chanteurs et chanteuses.
Sans oublier
Hugues Aufray car j'avais acheté une guitare bleue
dix francs à l'époque, les cordes étaient loin du manche et
me faisaient mal aux doigts. Hugues avait chanté une chanson de
Dylan en Français, traduite par Pierre Delanoë, et comme je ne
parle pas anglais, je jouais du Dylan chanté par Hugues avec
le porte-harmonica. J'appréciais également
Leonard Cohen,
Frank Zappa, les
Rolling Stones. Et puis
Bourvil aussi.
J'aimais le jazz,
Duke Ellington,
Bill Evans.
Maintenant j'écoute beaucoup de musique classique, Beethoven, Bach,
Rachmaninov, Robert Schumann. Au tout début, quand j'ai commencé,
je ne voulais pas faire de la musique, je voulais juste m'amuser.
J'avais monté un groupe qui s'appelait Roxy Musette, un peu comme
Au Bonheur des Dames, mais en plus scatologique. A un moment
je jouais dans la rue, puis au cabaret, j'ai monté des groupes de
rock comme Jo BB Folk. A 28-29 ans j'ai signé chez
Barclay qui gagnait beaucoup d'argent et au lieu de payer des impôts Eddie
faisait des petites productions. Mon premier album Troglo Dancing
a été élaboré en dix jours, sans arrangement, avec un son pur et dur,
il contenait mon titre phare Rock Amadour. J'ai fait ensuite
d'autres albums. Mais tout cela a été un pur hasard.
Pourquoi as-tu choisi l'accordéon ?
Par provocation. Je jouais de la guitare comme tout le monde,
aussi mal que beaucoup d'autres, alors je me suis dit que j'allais
mal jouer de l'accordéon !
Comme je suis guitariste, j'ai tout transposé sur l'accordéon.
Je suis autodidacte. Je trouvais cela marrant de faire du rock
à l'accordéon. Jacques Higelin faisait déjà des petites ballades
avec cet instrument. J'avais également entendu
Clifton Chenier originaire de Louisiane.
Je le trouvais à la fois ringard
et intéressant. Je me rappelle quand on m'a apporté ses albums,
je les ai tous écoutés, et je me suis dit, mais c'est mon papa !
Tu as prouvé qu'avec l'accordéon on ne jouait pas que du musette.
Oui, mais on peut quand même dire que le rock à l'accordéon a
eu son heure de gloire et maintenant c'est fini. L'accordéon qui
revient actuellement est encore du musette. Beaucoup de petites
guinguettes se remontent partout près des petites rivières et je
trouve cela très bien. Auparavant je n'aimais pas le musette,
je trouvais ça ringard à cause des paillettes et des sourires
forcés, mais le vrai musette est très bon, je peux citer
Jo Privat,
Richard Galliano et bien d'autres. C'est du jazz, il y a des
descentes d'accords, c'est vraiment très beau. Je ne peux pas
jouer comme eux, je joue du Blues, donc différemment.
Les autres musiciens ne comprennent pas ce que je fais.
Comme j'ai appris tout seul, j'ai des défauts qui deviennent
des qualités. Etre artiste c'est prendre ses défauts et les
monter en épingle pour qu'ils deviennent des qualités.
Parfois cela fait de la merde aussi, mais de temps en temps
ça fonctionne bien !
Willy DeVille a mélangé l'accordéon et
le violon, c'est de la musique Chicanos dans laquelle il y a
toujours eu de l'accordéon, des guitares des violons, de la
trompette. Cela fait partie du folklore. Le musette est le
folklore de l'accordéon, c'est l'Auvergne et l'Italie,
rendez-vous à Paris !
Te souviens-tu de ton premier album ?
Oui bien sûr. Un beau souvenir. Dix jours de travail avec de
bons musiciens comme
Guy Delacroix à la basse,
Clément Bailly à la batterie,
Claude Engel
à la guitare. Ils ont tous les trois joué avec
Magma.
Sans oublier
Patrick Bourgoin, le meilleur saxophoniste
parisien. On enregistrait tous ensemble, avec le micro au milieu,
c'était complètement dingue. Il y avait une très bonne ambiance,
on fumait des gros pétards, on buvait des whiskys coca ou orange.
Une prise ou deux suffisaient. Je trouvais cela incroyable,
je n'en revenais pas de jouer avec de si bons musiciens qui
avaient l'habitude de travailler avec des personnes comme
Michel Berger, très carré dans le travail. Ils me disaient
mais qu'est-ce qu'on se marre avec toi, c'est ça la musique !
Ils étaient tous vraiment gentils et adorables. Je voyais
qu'ils prenaient plaisir à jouer mes chansons et j'étais
extrêmement flatté. C'est pour cela qu'il y a plein de défauts
sur cet album mais une fraîcheur qui plaît.
AM : Il s'appelle Troglo dancing.
Gérard : Oui. Il y avait dans cet album une vraie fraîcheur que l'on perd avec les années !
Tu as 11 albums studios à ton actif, peux-tu nous parler des derniers en date ?
Oui, il y a La Peau du Cancre où j'ai retrouvé l'accordéon,
la guitare, la batterie et la basse comme dans mes premiers
albums. Et j'ai voulu faire la même chose avec l'album dans
lequel je chante du
Brassens. Je suis tout seul à l'accordéon.
L'idée n'est pas de moi, j'étais avec
Renaud à Montauban pour
fêter les quarante ans de chanson de
Pierre Perret. J'ai chanté
Quand le Soleil Entre Dans Ma Maison, accompagné d'un violoniste,
et Pierre ne se rappelait plus qu'il avait écrit cette chanson,
alors il est venu me voir pour me remercier et m'embrasser, et je
lui ai dit que ce texte était magnifique. Renaud était là également
et m'a dit que ce serait bien que je chante du Brassens. J'ai
répondu que j'aimais Jacques Brel et que je n'aimais pas faire
des reprises. Mais cette idée a trotté dans ma tête, un jour je
suis allé à la Fnac pour acheter les compilations de Brassens et
j'ai travaillé 46 morceaux. Je voulais y mettre ma griffe mais je
ne trouvais pas le truc qui allait bien. Je ne voulais pas
ressembler à Brassens malgré que je porte comme lui très souvent
des pantalons de velours ! A force d'écouter ses chansons,
les mélodies, de lire ses textes, je suis tombé amoureux de
Brassens comme une jeune fille candide. De 46 morceaux, je suis
passé à 36 puis au final j'ai choisi 17 chansons pour cet album.
Ce soir pour mon concert à Château-Chinon je vais en chanter
deux qui ne sont pas dessus, Le Vieux Léon qui parle d'un joueur
d'accordéon et Le Temps Ne Fait Rien à l'Affaire, qui n'est pas
la plus jolie de Brassens mais que j'adore. C'est un texte
indémodable et intemporel. Brassens a dans son répertoire des
belles chansons, Les Passantes par exemple, qu'
Iggy Pop a repris
dans son album de chansons françaises, c'est magnifique.
On va parler dans un deuxième temps de tes dessins et de la peinture.
C'est difficile de parler de la peinture. Parlons de mon recueil
de dessins consacré à l'accordéon. J'ai choisi de faire cet
album intitulé Branle Poumons grâce à
Nougaro qui m'a dit
un jour, tu joues du branle poumons. L'accordéon a également
d'autres noms, boîte à cafard, soufflet à punaises, etc.
AM : Tu as fait également Tête à Claques Mais Sans Plus.
Exact, je voulais l'appeler Crotte de Bic, car j'ai tout fait au stylo
Bic noir. Je voulais me faire sponsoriser par Bic mais je n'étais pas
un homme d'affaires et vu mes dessins sortis à l'époque Punk en 1977
c'était impossible. Dans ce bouquin certains dessins seraient
extrêmement dangereux maintenant, je pourrais me faire traiter
de tous les noms. A l'époque de Crapaud Baveux il y avait une
certaine dérision. A l'heure actuelle ce n'est plus possible du tout.
Dans cet ouvrage j'ai fait un vrai travail de graveur. Un esprit
punk mais un travail raffiné. Je pense que le dessinateur le plus
punk était
Jean-Marc Reiser avec son humour méchant et drôle,
et son trait hyper violent. Pour ma part, je ne voulais pas faire
de l'humour mais plutôt des dessins provocateurs, des pensées
contradictoires, des idées ultra provocantes, avec en plus un
travail de graveur. J'ai été influencé par Roland Topor,
un dessinateur que j'adore.
Et si on parlait du cinéma maintenant ?
Je déteste le cinéma, mais oui quand j'étais petit j'adorais
Les Charlots, qui étaient un groupe de rock drôle,
un peu comme Au Bonheur Des Dames. Ils ressemblaient aux
Beatles, avec un air complètement crétin. J'aimais aussi
Les Brutos, le quatuor italien
d'Aldo Maccione,
Les Frères Jacques et
Les Quatre Barbus.
Un jour quand je chantais Rock Amadour, j'ai rencontré
Les Charlots. On a sympathisé et ils m'ont fait une première
proposition, jouer le rôle d'un adjudant dans leur film
Le Retour des Bidasses en Folie, mais j'ai refusé, à cause
de ma coupe de cheveux de l'époque. Puis ils m'ont proposé
le rôle d'un prêtre ouvrier dans Charlots Connection.
Les Charlots étaient adorables, leurs films étaient
populaires, mais ce n'est pas du grand cinéma.
AM : Tu as également écrit des bandes originales de films.
Oui, j'ai fait une musique pour
Josiane Balasko qui a réalisé Sac de Noeuds en 1985.
Ce soir tu vas certainement interpréter Rock Amadour.
Oui, si je ne la chante pas le public va dire, ce n'est pas lui !
A l'époque, quand les gens entendaient Rock Amadour ils se
précipitaient pour me prendre en photo. Maintenant c'est
un gag qui ne marche plus car le public prend des photos
mais peut également me filmer avec leur appareil.
AM : T'amuses-tu toujours autant à la jouer ?
Il y a eu une période où cela ne m'amusait pas du tout.
J'étais un peu en dépression alors je la maltraitais sur scène.
Je faisais d'autres albums qui ne marchaient pas, j'écrivais
des chansons plus tristes. Les radios et les télés ne m'appelaient
que pour chanter Rock Amadour ou bien
Elle Voulait Revoir Sa Normandie.
As-tu des projets pour l'avenir ?
Non, à part le suicide avant la troisième guerre mondiale ! (riant).
Je vais continuer à faire des concerts. Je suis par exemple en
Bretagne à Saint Malo avec l'
Association Zarma. Ce sont de vrais
fous furieux qui éditent un journal pouvant rappeler le
Charlie Hebdo de l'époque. J'aime bien ce genre de personnes,
un peu en dehors du système, un peu moins policées.
Pour ma part, j'ai plutôt envie d'être tranquille. Je n'en
reviens pas de ce qui se passe maintenant, la vie en général a
toujours été médiocre mais là on atteint des sommets !
Quand on voit les émissions de téléréalité, les jeunes ne savent
plus s'exprimer correctement et à part leurs muscles et leurs
tatouages, ils ne s'intéressent à rien. Ils ne sont pas
méchants mais ils sont vraiment très cons, et les médias
entretiennent la connerie et la médiocrité. Pour ne citer que
TF1 et M6 , c'est terrible. On a envie de leur dire, arrêtez
d'être des imbéciles, retournez dans les bibliothèques, lisez,
la parole c'est la liberté, ce n'est pas les tatouages et avoir
un look rebelle qui compte, c'est dans la tête que tout se passe
Ils sont tellement superficiels. La musique qu'ils aiment est
vide de sens. J'ai eu mon certificat d'études, j'étais un cancre
mais je m'intéressais à un tas de choses quand j'étais jeune.
Vous parliez de
Boris Vian qui disait dans les années 50 qu'un
animateur radio, qu'un programmateur ne devait programmer que ce
qu'il pensait bon et ne pas faire des concessions comme vous le
disiez comme aujourd'hui avec les téléréalités. Quel est votre
commentaire sur le sujet ?
A l'époque où il disait cela, les programmateurs étaient en même
temps éditeurs et recevaient de l'argent de la
SACEM.
Les yéyés c'était cela, c'était déjà une espèce de mafia.
Il y avait aussi Brel,
Léo Ferré. Maintenant on chante
Claude François,
Joe Dassin, mais où sont Léo, Brassens,
Mouloudji, dans les karaokés ? La copine de Boby Lapointe,
Anne Sylvestre ? Les chansons de karaoké sont aussi très anglophones.
Vous aimez l'humour, vous appréciez peut-être les Inconnus.
Didier Bourdon a enregistré une chanson intitulée On ne Peut
Plus Rien Dire (aujourd'hui). Vous faisiez allusion à cela.
Il y a une forme d'autocensure, des sujets qu'on ne peut plus
aborder, que se passe-t-il ?
Ce n'est pas de l'autocensure, c'est le fait que si vous les
abordez vous vous retrouvez face à toutes les associations.
Si vous êtes procédurier vous allez passer votre temps dans les
tribunaux. Ce n'est pas parce qu'on dit certaines choses qu'on va
les faire. Il y a beaucoup de gens qui ne disent rien et qui
font des saloperies, ceux-là devraient être punis, comme certains
politiques, pour ne citer que Cahuzac qui s'occupe de l'évasion fiscale...
Il n'est pas raciste, il n'est pas ceci ou cela, mais il fait
quand même des choses scandaleuses, il nous prend pour des cons
ainsi que tous ceux qui travaillent avec lui. C'est une injure pour
nous tous. Les jeunes voyant cela se disent qu'est-ce qu'ils nous
ont faits. Les babas cool sans discipline, je n'y crois pas, il faut
un peu de discipline pour apprendre, se forcer à acquérir des
connaissances, pour faire des choses. On ne peut pas être parents-copains
comme les soixante-huitards, c'est très grave, car les enfants
n'ont plus de repères. Les parents n'ont plus de pouvoir sur les
enfants parce qu'ils sont trop en admiration devant eux, ce sont
des enfants rois. Un enfant peut être un vrai monstre avec une
tête d'ange. Il faut bien entendu aimer un enfant mais également
instaurer une certaine rigueur pour le faire grandir.
Aujourd'hui les métiers du spectacle ont explosé, éditeur,
producteur, c'est un peu le bazar maintenant. J'ai discuté
avec Pierre Perret dont vous parliez tout à l'heure qui me
disait de nos jours un Brel ou un Brassens n'a aucune chance
de percer car on ne lui laissera pas sa chance.
Qu'en pensez-vous ?
Un jour je faisais une interview de
Gilles Vigneault,
et il m'a demandé si c'était normal que les Canadiens,
les Québécois soient les défenseurs de notre langue,
c'était dans les années 80, notre langue commençait à
péricliter et vous avez fait tout à l'heure allusion à
ce que la langue française part en morceaux,
notamment la langue parlée.
Je voudrais savoir si Gilles Vigneault parlait des artistes comme
Renaud qui met un peu d'argot dans ses textes de chansons.
Il y a des personnes qui ont critiqué Renaud pour cela.
Pascal : Non, ce n'était pas pour cela, il parlait de la qualité
de la langue française dans la vie en général.
Gérard : Vigneault fait très attention à son écriture qui est superbe.
Pascal : Je vais prendre un autre exemple, Nina Morato, une jeune
chanteuse qui a fait trois albums, participait à une conférence de presse.
Elle s'est énervée en disant voici encore un mot que je ne comprends pas !
Comment peut-on enregistrer des disques sans comprendre et maîtriser la
langue française ? Aujourd'hui on se pose des questions.
Gérard : Le problème d'un Brel ou d'un Brassens c'est que le public des
jeunes de vingt ans ne comprend pas leurs textes. La poésie de
Léo Ferré encore moins. Même Renaud est un littéraire à leurs yeux !
Gilles Vigneault, Pierre Perret et même
Alain Souchon ont vu arriver
tout cela, ils en souffrent. Je trouve que Souchon a vraiment apporté
quelque chose à l'écriture, il a fait de très belles chansons, comme
Foule Sentimentale. Un artiste qui écrit aussi vraiment bien c'est
William Sheller, prenez par exemple Les Miroirs Dans La Boue,
Nicolas ou Un Homme Heureux. William Sheller dit qu'il n'a pas de
parolier car la musique est plus importante. Il préfère écrire ses textes
lui-même. Parfois il ne faut pas penser qu'à faire de la littérature,
il faut que la chanson soit musicale. Il ne faut pas vouloir à tout prix
faire de la poésie. Il faut garder en tête le sujet de la chanson et
laisser venir les choses. Les mots vont s'entrechoquer, et l'accident
va être beau et c'est cela qu'il va falloir garder. Les jeunes ne sont
plus capables de voir la différence entre le classique et l'accident.
Il leur faut des je t'aime au premier degré.
Voici une question pour les spécialistes. Nous diffusons
beaucoup sur notre radio de la musique
cajun. Pourrait-on
chanter Clifton Chenier avec l'accent parisien ou celui du Morvan ?
Non, car c'est du vieux françois. Cette musique a son charme.
Je suis allé en Louisiane, j'ai rencontré le fils de Clifton Chenier
qui jouait avec l'accordéon de son père et son frère jouait de la washboard.
Merci Gérard pour le temps que tu nous as accordé et bon concert pour ce soir !