Interview Manu LANVIN
Samedi 5 avril 2014
Salaise Blues Festival
Super.
AM : Tu vas, grâce à elle, pouvoir nous expliquer ton histoire, ton parcours.
Puis-je choisir les chiffres au hasard ou dois-je les prendre dans l'ordre?
AM : Dans l'ordre si tu le veux bien.
Le numéro 1. Acteur ou musicien ?
Je ne me suis jamais posé la question de savoir si un jour j'allais
devenir acteur ou pas, même si j'adore le cinéma, cet art mineur.
Mon père est dans cet univers-là. J'adore être spectateur mais cet
univers ne me correspond pas car je suis dans la spontanéité,
j'aime l'impulsion, je me sens bien en faisant du live. Aujourd'hui,
quand je suis parti de la gare de Lyon, j'ai rencontré
Tchéky Karyo,
un acteur que j'aime beaucoup et qui fait également de la musique.
Je pense que les acteurs comme lui, qui ont une vraie envie de faire de
la musique, aiment l'instantané de la scène comme au théâtre d'ailleurs.
Le cinéma est un travail plus réfléchi, plus calculé, beaucoup plus
psychologique et cela ne me correspond pas, donc je me suis dirigé vers
la musique. Je n'avais pas le doigt dans la bouche comme le personnage
de cette image, mais déjà une main sur la guitare. Quand j'ai vu
Téléphone
sur la scène du Zénith, qui cassait la batterie à la fin du show,
je voyais une bande de copains s'amuser et je me disais que leur vie était super.
Jouer tous les soirs pour les autres, tourner, voyager, voir du bonheur
sur scène et dans la salle, cette vie me correspond vraiment.
Le plus marquant pour moi a été ma première fête de la musique,
j'avais 15 ans. Je jouais avec mon premier groupe,
Caïman, pour la maison de quartier de Cergy-Pontoise,
un quartier un peu difficile, mais pas trop quand même à l'époque.
On faisait beaucoup de reprises des Rolling Stones, des Beatles,
on allait chercher dans la musique des années 70 des choses qui
nous animaient. On faisait la première partie du groupe de Reggae,
Human Spirit,
qui était connu à l'époque et que j'aimais beaucoup.
A 15 ans on ne connaissait rien, je ne savais pas jouer, je chantais
comme une casserole, mais on avait l'envie de donner aux autres et
je me rappelle quand j'ai mis les pieds sur cette scène, je me suis
dis cet endroit est ma maison, je me suis senti protégé sur scène,
j'ai pensé que c'était là où je vivrai. Je t'assure que c'est vrai.
Dès le premier morceau je me suis dis ici il ne peut rien m'arriver.
Et c'est ce qui me conduit aujourd'hui à faire cette interview !
AM : D'Internet. Elle correspond à The Blues, une série
de documentaires produits par Martin Scorsese créée à l'occasion
du 100e anniversaire du Blues.
OK. Le Blues.
AM : Oui, pourquoi avoir choisi le Blues ?
Je n'ai pas choisi cette histoire-là. Au début, je me suis
plus orienté vers le rock'n'roll et ses dérivés. J'étais
totalement animé par tous les guitares héros des années 70,
Jimmy Page,
Led Zeppelin,
Jeff Beck,
Jimi Hendrix.
Je voulais quelque chose de plus simple, saturé,
beaucoup plus rock'n'roll. Quand j'étais tout jeune,
Bernie Bonvoisin et
Paul Personne m'ont dit, si tu veux connaître
la guitare, il faut connaître l'histoire de cet instrument.
Je ne comprenais pas trop ce qu'ils voulaient me dire.
Je commençais à m'intéresser à tous les gens qui avaient
influencé tous les guitares héros que j'adorais et je me suis
rendu compte qu'ils étaient tous passionnés de Blues, de son
histoire. Pour avoir le Blues il faut le vivre. Je ne pense
pas qu'adolescent j'aurais pu faire les albums que j'ai faits,
qui sont très personnels, ils correspondent à un parcours,
à des échecs, des désillusions, amoureuses, des choses de la
vie qui font que cette musique est un très bon exutoire.
C'est très loin de ce que les gens enduraient à l'époque lorsqu'ils
la jouaient. C'est pour cela que je me fais tout petit. Des gens comme
Ladell qui est avec nous ce soir,
Quincy Jones,
m'ont fait confiance.
j'ai beaucoup parlé de cela avec eux, j'ai l'impression d'être un
petit Frenchy qui s'accapare cette musique. Mais ils me disent,
pour nous c'est énorme car à travers toi, des personnes comme toi,
cette musique perdure. Je suis donc un relais. Je n'invente rien,
je relaie juste l'information des gens qui ont beaucoup plus enduré
et souffert que moi. Je le fais avec le plus d'honnêteté possible,
avec mes tripes, et tant qu'on ne me demandera pas de dégager
de scène, je continuerai à jouer !
AM : Pourquoi tatto ? Montre-nous donc tes bras ?
Je n'aime pas montrer mes tatouages comme cela.
AM : Il y en a un qui est important, tu pourras peut-être le montrer après.
D'accord. Pourquoi tatoo? Il faut accepter un jour dans sa vie
que les choses peuvent se figer. quand j'étais plus jeune j'avais
du mal à l'accepter. J'étais très fuyard dans mes relations amoureuses.
J'avais peur de cette cristallisation, de devoir vivre avec, de ne
pas pouvoir m'en détacher. J'avais un profond désir de liberté,
de ne pas être attaché à quelque chose. La vie a fait que j'ai eu
une petite fille qui m'a sauvé de beaucoup de choses.
Elle restera figée, quoi qu'il arrive, jusqu'à ma mort, elle sera là.
Je me suis dis, il faut que je marque ce moment-là. Donc mon premier
tatouage est celui du prénom de ma fille et puis après il y a eu
d'autres heureux événements, des moments qui m'ont souri et c'est
aussi une manière de marquer les choses.
J'ai la route 61 tatoué sur les deux bras, et puis j'ai les paysages qui vont avec.
En France, les gens ne pensent qu'à la route 66, qui est pour moi
la route des touristes. Elle a également une autre symbolique,
c'était la conquête de l'Ouest, ils cherchaient tous l'eldorado,
ils ne savaient pas ce qu'ils allaient trouver.
La route 61 est la route qui longe le Mississippi. Elle part de la
Nouvelle Orléans qui allait à l'époque jusqu'aux grands lacs.
Cette route était chargée d'espoir pour tous les musiciens, que ce soit
Robert Johnson,
Muddy Waters.
Tous ces gens se disaient, si je veux partir de cette galère,
la Louisiane, les champs de coton, peut-être que si je vais là-haut à Chicago,
je vais pouvoir me refaire une vie. Tous les labels de musique étaient dans le
Nord et peut-être que je vais être vraiment considéré comme un citoyen
américain se disaient-ils. Ce n'est pas dans le Sud que cela se passera
mais bien dans le Nord. Cette route était une échappatoire pour la liberté,
la réussite. Le film
Cadillac Records explique bien tout cela et le premier label blues,
Chess Records. Ils rêvaient tous d'aller là-bas. La route 61 était très
dangereuse, il y a un très bel album de
Bob Dylan intitulé Highway 61 Revisited qui en parle.
AM : Pourquoi un CD ?
D'ailleurs, ce n'est pas un CD mais un mini CD.
Tu peux juste mettre trois chansons dessus ! Je ne fais pas de
la musique pour cela, mais bien pour faire du live. Bien entendu
pour faire du live il faut créer des albums, des nouvelles chansons
qu'on enregistre. C'est l'histoire de l'industrie du disque.
Des personnes ont pensé pourquoi ne pas capturer la musique des
musiciens qui jouent en live et la vendre ? C'est cette histoire à
l'époque qui a fait la révolution de l'industrie du disque.
Aujourd'hui personne n'achète la musique, tout le monde la télécharge,
c'est vrai, donc on reprend juste notre place d'artisan. Nous sommes
là pour procurer des sensations au public, essayer de leur faire
oublier leur quotidien, c'est une communion entre eux et nous.
La musique a un truc un peu sacré, c'est comme les gens qui vont à
la messe. C'est plutôt positif et c'est pour cette unique raison
que je fais de la musique. La célébrité, vendre des disques,
je n'en ai absolument rien à faire. Mon seul bonheur c'est de jouer !
AM : Que par exemple tu as collaboré avec lui.
Oui. Une drôle de rencontre d'ailleurs. Les gens savent que j'ai
collaboré avec lui, j'ai fait un album avec lui, j'ai travaillé
et tourné avec lui. Par contre notre rencontre a été superbe.
Allez, je vous livre l'anecdote, certaines radios la connaissent déjà.
J'étais en backstage avec Paul Personne et je vois ce vieux mec,
qui me faisait peur quand j'étais petit car il avait le visage buriné.
Mais Calvin avait des yeux d'enfants qui m'ont captivé.
Je me rappelle quand on était à table, Paul Personne a demandé à
Calvin si il me connaissait et Calvin a répondu non.
Alors Paul lui a suggéré de me parler car il était sûr que l'on
avait plein de choses à se dire. Calvin commence à me parler et
je me suis tout de suite senti bien avec lui et vice-versa.
Calvin me demande si j'ai déjà pris des champignons. Tu vois,
c'est comme si je devais rencontrer Bob Marley qui me demande
tu as déjà fumé un joint ? Dans ce cas-là tu es obligé de dire oui.
Alors Calvin me dit j'ai des champignons du Texas, cela te dirait
d'en prendre avec moi ? Tu ne peux pas refuser ! Tu es obligé de
dire oui. Si tu as confiance en la personne avec qui tu es, tu le fais.
Je lui réponds donc pas de problème. Alors Calvin me met dans la main
deux capsules qu'il avait fabriquées lui-même avec des champignons
hallucinogènes, je les ai mangées devant lui. Calvin a explosé de rire et
m'a dit cela fait 10 ans que je suis en France, il n'y a pas un gars qui
a osé prendre ce que je prends. Calvin m'a expliqué ensuite que ces
champignons n'étaient pas du tout violents mais plutôt soft, qu'il les
avait cultivés. Cette anecdote nous a rapprochés. D'ailleurs pendant
la promotion de Dawg Eat Dawg Calvin n'a pas arrêté de raconter cette
histoire. C'est une histoire intéressante car elle est vraie. Il y a
plein de mecs comme Obispo ou Mahé qui ne racontent que des conneries,
moi je raconte des histoires vraies ! A l'époque à Austin, Texas ce
n'était pas facile d'être un hippie mais il y avait une communauté et
Calvin en faisait partie. Quand ils fumaient des joints c'était très
mal vu mais ils le faisaient car pour eux c'était une part de liberté,
ils ne se droguaient pas avec le vice, c'était pour eux une manière de
vivre et d'explorer la vie. J'ai rencontré tous les vieux amis de Calvin
là-bas, qui prenaient certaines drogues mais pas du tout comme aujourd'hui,
cela faisait partie de l'époque, c'était une forme de rébellion contre cet
état dur du Texas. Calvin en a souffert, il a fait deux fois de la prison
au Texas et au Mexique. La prison est dure là-bas, il faut bosser.
Calvin a quand même continué, personne ne pouvait lui enlever cette
liberté. il disait quand je fume un joint, je ne fais rien de mal.
Aujourd'hui on est en train de légaliser la drogue un peu partout,
donc ces mecs-là n'étaient pas à côté de la plaque.
Oui on a fait la bande originale de ce film qui est un remake de Lucky Luke de James Huth avec Jean Dujardin.
AM : Un film qui date de 2009.
Voilà. On s'est battu comme des chiens pour avoir la BO.
Ce n'était pas simple et pas gagné mais on a réussi à la faire avec Calvin.
C'était super de travailler sur cette BO.
Ah je crois que je connais ce gars ! C'est
Ladell McLin.
Avec lui on s'est retrouvé sur la
Jazz Foundation of America
qui organise des événements deux fois par an.
Aux Etats-Unis les artistes n'ont pas les mêmes droits sociaux que
l'on peut avoir ici, ils n'ont pas d'intermittence. En plus à l'époque
les artistes signaient des contrats avec des producteurs qui prenaient
tous leurs droits, et aujourd'hui ces musiciens sont obligés d'aller
jouer dans le métro car ils doivent continuer à vivre et jouer. C'est ce
qu'ils savent le mieux faire. La Jazz Foundation of America est parrainée par
Quincy Jones, entre autres, et dirigée par Wendy Oxenhorn qui oeuvre chaque
année pour aider un, deux ou trois artistes qui ont besoin de soins médicaux,
qui sont dans le besoin. Beaucoup de musiciens participent à cet événement,
Ladell McLin fait partie de ces artistes new-yorkais. J'ai fait un boeuf
avec Ladell, on a sympathisé. Ensuite Ladell m'a invité à jouer dans une
petite galerie d'art à Alphabet City à New York. J'ai passé un moment extraordinaire.
La veille Ladell jouait à l'Apollo Theater et le lendemain dans cette petite
galerie d'art. Il m'a dit, viens jouer avec moi. Ensuite comme Ladell
avait besoin de faire un album et de venir tourner en Europe je lui ai
donné un coup de main, ce qui explique sa présence aujourd'hui parmi nous.
AM : Au Salaise Blues Festival.
AM : Pourquoi le chocolat ?
Je ne sais pas. Tu lis dans le chocolat ?
AM : Oui c'est une idée. Cette tablette est aussi un symbole pour
ceux qui se souviennent de la publicité de Dali et du chocolat Lanvin.
Et le Chocolat c'est aussi pour le nom de mon studio "
La chocolaterie".
AM : Tout à fait. Merci Manu pour cette interview et merci également d'avoir
encore une fois mis le feu à la salle ce soir. Tu as brûlé les trois premiers
rangs. La prochaine fois, rendez-vous le 28 juin dans notre région.
Le 28 juin ce sera où ?
AM : Au KAO à Lyon pour le Festival de nos amis des
Grosses Guitares.
C'est vrai ce sont vos potes ?
AM : Bien sûr.
Salut, préparez-vous on arrive...On est chaud, cette fois on va
brûler les 4 premiers rangs !